Pas de compromis avec la technique ! Trois questions à Renaud Vernier, 2017.

 

 

M. Vernier, pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez choisi d’accueillir Louise Bescond au sein de votre atelier ?

Avant de rencontrer Louise, j’avais vu son travail et j’avais été surpris par ses aptitudes, une vraie sensibilité technique, l’intelligence de la main… Lorsque l’occasion s’est présentée, le choix m’a paru évident.

De plus, une jeune femme que j’avais en formation avait fini par arrêter la reliure, et je me sentais déçu, frustré, un peu « orphelin »… J’ai été rapidement conquis par les capacités de Louise, son grand pouvoir de réception, son appétit de reliure, et il y avait aussi cet autre aspect, très important pour moi : reprendre le fil d’une transmission interrompue.

Le savoir-faire de Louise était déjà remarquable. Mais à ce stade-là, elle doutait de ses connaissances et avait besoin qu’on la remette sur la voie. Elle aurait fini par y arriver toute seule, mais vous connaissez la vie des relieurs : c’est le temps qui manque.

 

La transmission de maître à élève, pratique courante autrefois, est très rare de nos jours. Comment s’est opéré cet accompagnement technique ?

D’abord, on discute beaucoup, pour se connaître, on se regarde dans les yeux, on fixe le caractère : il y a cette façon singulière dont Louise vous parle de son travail et de la reliure en général, avec humilité et passion. On voit très vite.

Ensuite, il y a la transmission proprement dite. Je n’ai qu’une technique : la mienne. Je lui ai appris à se débarrasser des gestes inutiles. Il ne faut pas compliquer le geste, mais au contraire l’alléger. Il faut éviter de se perdre.

Qu’est-ce qu’on nous demande, au fond ? Conjuguer la solidité avec l’esthétique, et ce n’est pas en multipliant et en compliquant les opérations que l’on obtient un tel résultat. Je crois que je l’ai aidée à supprimer ce qui était superflu, ou excessivement délicat. Les résidus des écoles, les différentes techniques accumulées tout au long de son parcours.

En reliure, même si on prend du temps, on n’a jamais le temps. Rapidité, qualité, respect du livre : voilà ce qu’un « maître » peut vous apprendre, et il n’y a pas de meilleur maître qu’un artisan qui travaille. Et surtout, la technique : pas de compromis avec la technique !

 

Comment imaginez-vous l’évolution et la place de Louise Bescond dans ce métier en pleine mutation, la reliure d’art ?

Techniquement, elle est le futur n° 1, elle se place au-dessus du lot. En ce qui concerne le décor, sa sensibilité se développe. Ses décors sont intimistes, rêveurs : il faut les regarder longtemps, les absorber, se laisser emporter. Ils ne cessent d’évoluer, et dans le bon sens.

J’admire ses choix chromatiques, ses gravures. Ses reliures sont collées au livre, on sent que le décor vient du livre : elle est dans la tradition du rapport au texte, et ça me plaît beaucoup.

Sa place dans les années qui viennent ? Je n’ai pas de boule de cristal, mais je sais que Louise possède les quatre qualités essentielles pour durer : amour du livre, passion de la reliure, angoisse du créateur et humilité face à son travail. Elle me fait parfois penser à Rose Adler qui était, comme elle, un peu découvreuse. Elle ira plus loin que moi.

Propos recueillis par Michel Scognamillo

 

Enfant de l’Aveyron désormais installé à Aix-en-Provence, Renaud Vernier a commencé à travailler en 1972 avec Pierre-Lucien Martin. Ses premières créations personnelles datent de 1978. Depuis, il a conçu de très nombreuses reliures et écrins décorés, conservés dans les meilleures collections et bibliothèques. En 2000, le ministre de la Culture et de la Communication lui a décerné le titre de Maître d’art distinguant des professionnels des métiers d’art pour leur savoir-faire exceptionnel et leur capacité à transmettre leurs connaissances.

 

Texte extrait du catalogue Les Reliures de Louise Bescond, publié à l’occasion de l’exposition Reliures de Louise Bescond, 2 au 7 février 2017 chez Sotheby’s